Lobbying

« N’hésitez pas à vous adresser aux politiques. »

Le lobbying a souvent une mauvaise image auprès du public. Or il peut être pour des associations ou des sociétés un moyen utile de se faire entendre au niveau politique. Hans-Peter Kohler, membre PLR du Grand Conseil bernois, explique comment on fait de cette collaboration une réussite.

interview : Marco Tackenberg

 

   Monsieur Kohler, le 13 est votre chiffre préféré. Pourquoi ?
Cela s’explique par mon activité de recherche médicale. En 1996, j’ai été à l’Université de Leeds, en Angleterre, le premier à étudier le gène du facteur XIII de la coagulation sanguine, ceci en rapport avec des maladies cardiovasculaires telles que l’AVC ou l’infarctus du myocarde. La science m’a longtemps accompagné. J’ai commencé à faire de la recherche fondamentale en 1992.

   Aujourd’hui, vous faites de la politique. Vous siégez au Grand Conseil et, comme responsable de l’éducation et du social, à l’exécutif de la commune de Köniz. Que signifie pour vous la politique ?
Quand j’ai commencé à en faire à temps plein, la politique était pour moi un défi totalement nouveau. C’est un formidable apprentissage, je fais la connaissance de plein de gens, j’ai l’occasion de mettre en route des choses et de les faire aboutir et je participe à des projets intéressants. C’est une expérience unique, qu’aucune association, aucun club ne peut offrir.

   Les non-politiques n’ont certes pas la possibilité de mettre directement en route des projets politiques mais ils peuvent, par le biais du lobbying, introduire dans les rouages de la politique les sujets qu’ils ont à coeur. Quel conseil donneriez-vous à un membre d’une association qui aurait l’intention d’utiliser cet instrument ?
Je conseillerais aux petites organisations de commencer par discuter avec celles de la taille au-dessus, par exemple celles du niveau cantonal ou national. Voilà une démarche dont peut résulter un premier contact avec un partenaire potentiel. Il ne faut pas non plus hésiter à poser des questions aux politiques et avoir peur de leur avouer qu’on est bloqué. C’est une démarche souvent bien accueillie.

   Le lobbying a souvent une mauvaise image auprès du public. Mais il suffit de parler avec des parlementaires pour que cette impression s’inverse. Les parlementaires de milice disent qu’ils ont besoin d’informations et de contacts. Qu’en pensez-vous ?
Le lobbying est largement répandu, y compris hors du champ politique. Le conseil des parents n’est-il pas une sorte de lobby ? L’important est de toujours dire clairement où l’on veut en venir et quels sont les conflits d’intérêts. Or les médias privilégient surtout les exemples négatifs. Ça m’agace d’entendre dire que les représentants des compagnies d’assurance-maladie occupent trop de sièges au parlement, alors que la santé est un sujet si important. Tout le monde est affilié à une caisse-maladie et tout le monde se plaint des primes tout en profitant des prestations des caisses, qui, en revanche, ne devraient pas avoir voix au chapitre. C’est absurde. Si le lobbying est problématique, c’est uniquement lorsqu’il n’est pas déclaré comme tel et que les raisons n’en sont pas connues. Ce qu’il faut là, c’est un certain équilibre.

   Les caisses ont certainement plus de facilité que les patients à faire du lobbying organisé. Le déséquilibre n’est-il pas évident  ?
Pas forcément. La Suisse compte beaucoup d’organisations de patients qui font du lobbying. Ce qu’il faut reconnaître, par contre, c’est que bien des groupements d’intérêts ont plus d’argent que d’autres.

 

« Le lobbying est largement répandu, y compris hors du champ politique.  »

Hans-Peter Kohler

 

   Et qu’en est-il de la représentation des médecins aux Chambres fédérales  ?
Ils sont très peu nombreux, y compris au niveau cantonal et communal. Leur formation, de base et continue, est relativement longue, et c’est la raison pour laquelle beaucoup d’entre eux ne se mettent que tardivement à la politique. Mais il n’est pas écrit que l’on doive entrer en politique à 30 ans. On peut très bien le faire à 50 ans. Plus il est tard, plus on a d’expérience. Beaucoup de partis apprécient les gens de la cinquantaine, par exemple pour les travaux en commission.

   Quelles sont les erreurs que les groupements d’intérêts commettent en matière de lobbying ?
L’erreur d’être mal préparés, d’avoir un mauvais argumentaire et d’exercer trop de pression. Les politiques n’aiment ni la pression ni les menaces. Au stade des travaux en commission, il ne faut pas les déranger, ni chercher à peser sur des séances non ouvertes au public. Pour autant qu’une association ait effectué en amont un travail de lobbying de qualité – en organisant par exemple des manifestations ou en envoyant des courriers aux partis – la commission estimera peut-être judicieux d’inviter un représentant de celle-ci à l’une de ses séances. Ce qui est tout autre chose.

   Résumons : Pour faire du bon lobbying, il faut s’y prendre à temps, être fiable, transparent ...
et ne pas avoir peur d’en rendre le sujet public. Donc, ne pas s’en tenir uniquement aux politiques, mais contacter aussi des journalistes ou leur envoyer un communiqué de presse. Ce qui est une autre façon d’éveiller l’intérêt des politiques.

   Comme l’a fait la Société des médecins du canton de Berne avec sa campagne « Médecins et patients – unis, les uns pour les autres ». C’est ce que vous appelez du lobbying via la place publique ?
Exactement, pas besoin des politiques à ce stade. Ce qu’il faut aux associations, c’est le courage et les moyens financiers. On l’a vu avec les médecins bernois. La campagne a attiré l’attention, la presse en a parlé, les politiques ont pris connaissance des arguments et vu que l’association se bougeait. Cela facilite l’entrée en matière politique. À condition que l’on se soit bien préparé.

   Que doivent faire les associations – en plus d’inviter les parlementaires à des manifestations – pour avoir des contacts réguliers avec les politiques ?
S’adresser directement à eux si c’est au niveau communal, et aux présidences de fraction si c’est au niveau du canton. À moins que vous cibliez carrément des politiciens et des politiciennes des circonscriptions concernées, ce que j’appelle contacter le bon échelon. N’hésitez pas à vous adresser à des politiques régionaux, et même nationaux. Il est du devoir des élus que nous sommes d’entrer en matière sur les préoccupations de la population.

   Le lobbying peut-il également s’adresser aux collaborateurs des administrations ?
C’est déjà le cas. Lorsqu'il s'agit d’élaborer de nouvelles lois, l’administration invite les associations d’intérêts. Mais ce sont les politiques qui ont le dernier mot.

   Tous vos mandats figurent sur le site. Estimez-vous suffisantes les règles de transparence s’appliquant actuellement aux parlementaires ?
Selon moi, les parlementaires devraient être obligés de rendre publics tous leurs mandats. Mais il est oiseux et, parfois, agaçant que l’on exige d’eux une parfaite neutralité. C’est n’importe quoi ! Les parlementaires ont des mandats, des réseaux et des intérêts. Il suffit qu’ils soient connus pour que les conflits deviennent d’eux-mêmes transparents. Et dans ce cas, mieux vaut s’abstenir. Mais ce n’est pas parce que je fais partie d’une organisation qu’il doit automatiquement y avoir conflit. Dans un parlement de milice, cette discussion n’a d’ailleurs pas lieu d’être. Il en va tout autrement des politiques exerçant un mandat exécutif à plein temps. Il serait par exemple impossible d’être administrateur d’un groupe d’hôpitaux et de dresser en même temps des listes d’hôpitaux en qualité de conseiller d’État. C’est une simple question de bon sens.

 

Né en 1960, le Prof. et Dr en médecine Hans-Peter Kohler a fait un apprentissage d’électronicien TV et radio, après quoi, retournant sur les bancs de l’école, il obtient sa maturité et fait des études de médecine. Après avoir fait à l’étranger de la recherche fondamentale et de la clinique, il a été, comme dernier emploi, responsable de division de l’hôpital municipal et médecin-chef et directeur de la clinique de médecine interne de l’Hôpital Tiefenau à Berne. De 2005 à 2017, il a représenté le PLR au parlement de la commune de Köniz. Élu au Grand Conseil du canton de Berne en 2014, il a franchi en 2018 le pas de politicien à plein temps en entrant au conseil communal de Köniz.