Associations : la relève

Interview: Sandra Küttel

 

Le recrutement des membres de comité

Les associations sont une véritable école de la démocratie : elles regroupent les intérêts et participent ainsi à l’élaboration de la politique. Et pourtant, les candidats au volontariat sont de moins en moins nombreux. Que peut faire une association pour se mettre à l’abri d’un manque de relève ? Nous avons posé la question à Karin Stuhlmann, Dr phil, conseillère à B’VM, Conseil et gestion d’associations.

 

   inforo : Où que ce soit, les associations se plaignent d’une insuffisance de relève. L’activité que l’on exerce au sein de leurs comités aurait-elle perdu tout attrait ? Karin Stuhlmann : Non, on ne peut pas dire ça. Il y a encore des gens que cela intéresse, qui aiment travailler avec d’autres à faire avancer les choses. Il faut d’ailleurs qu’il en soit ainsi. Le contraire serait un véritable malheur pour la société.

   Quelles sont les alternatives ? Il y aurait par exemple la possibilité de faire un usage ciblé des réseaux et des médias sociaux. Il n’y a pas non plus besoin que chaque sous-association ait son propre comité et son propre réviseur. Une structure formalisée n’est pas toujours nécessaire. Lorsqu’on traite avec une autorité et qu’une entité juridique est donc indispensable, pourquoi ne pas s’adresser à une association faîtière ou, s’il s’agit d’organiser un cercle d’experts, travailler tout simplement en réseau ou via les médias sociaux ?

   Cela paraît convaincant, mais dans la réalité c’est exactement le contraire que l’on observe : une fragmentation toujours plus grande. Je le constate moi aussi. Quand j’étais au comité de la Fédération suisse des psychologues FSP, elle comptait 34 associations membres, contre une cinquantaine aujourd’hui. Or elles n’ont pas toutes amené de nouveaux membres et n’ont souvent fait que grouper différemment ceux qui existaient déjà. Où voulez-vous trouver la relève nécessaire à un tel nombre de comités ? Il n’y a pas mille solutions. Ce qu’il faut, c’est regrouper ces structures, fusionner toutes ces micro-associations et ces micro-sections et travailler en réseaux.

   Dans l’impossibilité d’imposer ce genre de restructuration, que peut faire une association pour se mettre à l’abri d’un défaut de relève ?
   Ne pas attendre 10 ans qu’une génération entière de membres de comité parte en même temps et qu’il ne reste plus personne pour faire le travail. Un renouvellement constant, voilà la vraie solution.

   Le recrutement doit donc être constamment sur le radar ? Exact. En raccourcissant par exemple la durée des mandats. Une association se doit par ailleurs d’être ouverte au changement. Si la relève doit certes s’adapter à l’association, celle-ci, à l’inverse, doit aussi s’adapter aux nouveaux. Dans la plupart des cas, la tendance est encore à attendre des nouveaux qu’ils se coulent dans le moule. Mais cette façon de voir est condamnée à terme.

   Hommes et femmes sont aujourd’hui fortement pris par leurs obligations professionnelles et familiales. Pourquoi sacrifieraient-ils le peu de temps qu’il leur reste à des activités de comité ? Exact. Qu’est-ce que le mot « sacrifice » vient faire là-dedans ? C’est bien davantage d’aménager ses loisirs qu’il s’agit, de continuer à se développer, de travailler sur des projets avec des gens intéressants et d’élargir ainsi son horizon.

   Quelles sont les erreurs à éviter lorsqu’on recrute de nouveaux membres pour un comité ? Les fausses promesses – par exemple en ce qui concerne le temps à consacrer à cette activité. D’où l’intérêt des stages d’essai. Une autre erreur consiste à ne pas vraiment s’intéresser à la personne du candidat mais uniquement, comme cela arrive souvent, à ses compétences. Alors qu’une candidate ou un candidat au volontariat souhaite justement être aussi choisi pour sa personne.

   Comment une association doit-elle s’y prendre pour intéresser une femme à son comité ? Je constate que les associations spécifient souvent dans leurs annonces qu’elles cherchent une femme. Or il n’y a que le relationnel qui marche. Une association qui cherche une femme doit par exemple profiter d’une assemblée générale pour le faire savoir et nouer directement des contacts. Les femmes préfèrent cela aux annonces. Mais il faut, là encore, être ouvert au changement. Les nouvelles doivent avoir le droit d’exprimer leurs attentes. Au bout du compte, c’est toujours donnant, donnant. Une femme accepte si les conditions lui paraissent acceptables. Encore faut-il qu’elle soit bien claire sur ces dernières.

   Les femmes craignent souvent de ne pas être à la hauteur. D’où l’importance du relationnel. Les femmes ont besoin d’être encouragées. Trop exigeantes vis-à-vis d’elles-mêmes, elles ne se sentent souvent pas le courage de franchir le pas. Mais les hommes n’ont pas non plus le monopole du charisme et de la rhétorique. Homme ou femme, la possibilité doit être donnée de se familiariser progressivement avec sa tâche. On évitera donc d’attendre de quelqu’un monts et merveilles dès le premier jour.

   Quels sont les pièges à éviter pour les femmes ? Elles ne doivent pas se laisser réduire au rôle d’assistante. Permettez-moi d’illustrer cela d’un exemple vécu. Il y a quelques années, j’ai organisé avec une collègue une journée de conférences. Nous avons tout fait : dirigé le comité d’organisation, négocié avec les intervenants, tout prévu jusque dans le moindre détail. Mais qui est-ce qui, finalement, a eu droit à tous les compliments ? Le président ! Car c’est lui qui occupait le devant de la scène tandis que nous faisions les fourmis dans les coulisses et que personne ne nous voyait.

   Les femmes ne pécheraient-elles pas par excès de zèle ? Ce n’est pas exclu. Je le vois moi-même lorsqu’il s’agit de tâches sur lesquelles personne ne se jette. Le scénario est toujours le même : les hommes se taisent et s’effacent poliment devant les femmes. Ces dernières étant consciencieuses et dévouées, cela marche à tous les coups. C’est ainsi que l’on se retrouve avec le temps dans le rôle de l’assistante. Même si cela n’est pas intentionnel, c’est tout de même une tendance à surveiller.

   Vous avez vous-même exercé des fonctions dans plusieurs comités d’association ( voir encadré ). Qu’est-ce qui vous a poussée à les accepter ? Je me suis longtemps fait prier ( en riant ). J’avais un mentor qui, voyant mon potentiel, a tellement insisté que j’ai fini par céder. Aujourd’hui, je vis le travail de comité comme un grand enrichissement. Et quand, en plus, on en retire estime et reconnaissance, c’est un très beau sentiment que l’on éprouve.

   Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas, non ? Bien des assemblées ont effectivement à l’endroit des comités une attitude très, très critique. Lorsque, se situant du point de vue de ses membres, l’assemblée générale d’une association pose des questions critiques, elle est tout à fait dans son rôle. Mais elle a aussi, face au comité, un devoir de respect et de reconnaissance. L’un n’exclut pas l’autre.

   Existe-t-il des gens qui ne sont pas faits pour le travail de comité ? Oui : les égocentriques et les procéduriers, qui vous prennent du temps et vous usent les nerfs sans que rien n’avance. Des gens qui discutaillent des heures durant alors que tous les autres sont déjà d’accord. Et qui font un véritable psychodrame si on ose leur clouer le bec. Après quoi, il faut encore des heures pour les calmer et leur remonter le moral. J’ai vu tout cela de mes propres yeux. Les divas ne sont pas faites pour les comités, ni les comités pour les divas. Si, déjà, on n’est pas payé, il faut au moins qu’on y trouve du plaisir.

   Les comités n’attirent-ils pas des gens qui, justement, ont besoin de se faire valoir ? Oui, mais il n’y a pas forcément de mal à ça. Je participe au recrutement de beaucoup de comités, et je cherche toujours à savoir les raisons qui motivent une personne à exercer des responsabilités au sein d’une association. La reconnaissance n’est pas la plus mauvaise de ces raisons. Après tout, j’aime, moi aussi, être reconnue pour ce que je fais. Ce qu’il faut éviter, c’est l’égocentrisme et le narcissisme.

   Et quelle est la motivation qui serait nécessaire ou utile ? Le désir de servir ou, comme disaient les Romains, celui de « ministrare ». Le désir d’être utile à une cause commune. Il n’y a aucun inconvénient à ce que la personne qui éprouve ce désir ait du charisme, pourvu qu’elle se mette au service de l’association.

 

Karin Stuhlmann, Dr phil, est conseillère et membre de la direction de B’VM Suisse, Conseil et gestion d’associations. Elle possède une longue expérience de membre de comité acquise au sein de différentes associations. Membre du comité et présidente de la Fédération suisse des psychologues ( FSP ) de 2004 à 2012, elle est depuis 2010 directrice de l’Association Suisse des Diététicien-ne-s diplômé-e-s ( ASDD ).

Sandra Küttel est collaboratrice et directrice suppléante de l’agence de RP forum|pr. Après sa licence en sciences sociales, elle poursuit sa formation et obtient en 2011 le diplôme fédéral de conseillère en RP de l’Institut suisse de relations publiques SPRI. Les clients de forum|pr profitent de sa longue expérience du conseil stratégique, de la communication et de la gestion d’association.